Le tour d\'Écosse à vélo

Le tour d\'Écosse à vélo

Fionnphort (Isle of Mull part. II) - du 15 au 18 juillet - 90km (Total:843km)

Le temps passe vite à la ferme ; nous sommes jeudi et notre départ est prévu pour dimanche.

Aujourd’hui Rosie et Nigel nous ont exempts de travail l’après-midi pour pouvoir faire un tour à Fionnphort, le village le plus proche.

La coupe de fougères du matin passée, nous renfourchons donc nos bicyclettes en direction de Fionnphort – quelle étrange sensation de ne pas avoir entre quinze et vingt kilos de bagages à trainer avec soi – nous sommes le temps d’un après-midi des escargots qui auraient perdus leur coquille ; d’ailleurs notre rythme se rapproche de celui de l’escargot aussi. Je n’ai pas la forme physiquement ; je me sens vide et le rhum que nous avions courageusement combattu durant toutes ces journées difficiles du début de voyage a profité de ces jours de repos pour me sauter à la gorge – le traître ! Nous faisons d’abord halte au post office avec l’intention de rapatrier en France un colis de surplus de matériel que nous avons jugé inutile ; notre second cuissard, une paire de chaussettes, un caleçon, une fourchette, la crème solaire (hihi) et surtout nos diabolos de jonglage malheureusement inutilisables sous ce temps humide et venteux. Nous ne gardons désormais que le strict nécessaire. A notre étonnement, cet amoncèlement de petites choses pèse tout de même cinq kilos. C’est l’heure du dilemme ; un colis de plus de cinq kilos a envoyé en France nous coûterais £35 – c’est beaucoup, un véritable ogre dans notre budget, mais cinq bons kilos de moins sur les vélos ce n’est pas négligeable non plus. La postière nous voit alors peser le pour et le contre devant sa caisse pendant un quart d’heure (tout en nous assurant qu’on peut prendre notre temps ; les gens ne sont pas très stressés là bas). Finalement nous acquiesçons. Dans les côtes des jours à venir, nous ne le regretterons pas.

Nous continuons ensuite vers la plage rocheuse qui fait face à l’océan d’où l’on peut nettement apercevoir l’abbaye de la petite île d’Iona.

De retour à la ferme, Mike et Eliott nous proposent une nouvelle sortie en mer ; Nigel a confiance en Mike qui, en tant que « Canadien des côtes atlantiques » et aîné des wwoofers (24 ans), semble le plus apte au statut de capitaine de bord. C’est une nouvelle magnifique balade sur l’Atlantique qui s’offre à nous. Cette fois-ci, nous sommes bien décidés à revenir les lignes pleines mais rien n’y fait ; ni les chants, ni les prières ne parviennent à amadouer le poisson qui se refuse à toute fin gustative. Nous rentrons bredouille au « grenier » et mangeons donc nos pommes de terres sans accompagnement.

Après le repas, nous décidons, Clément et moi, de parler très sérieusement : il nous faut choisir quatre chansons à transférer sur son portable (faute de plus de place) – tâche ô combien importante pour la suite de notre voyage. En effet, autant la télévision et l’ordinateur ne nous manquent pas, autant l’absence de musique nous prouve à quel point nous en sommes dépendants. Nous empruntons l’ordinateur d’Eliott et nous lançons dans un débat qui abouti à ce choix hétéroclite : « Milord » d’Edith Piaf pour la joie et l’optimisme, « Hit the road Jack » de Ray Charles pour la motivation, « The ghost of Tom Joad » de Bruce Springsteen pour la douceur et la sérénité et enfin « Sunny » de Boney M pour rappeler à l’ordre ce bon vieux compère de soleil.

            Nouvelle journée, nous sommes de retour au jardin. Notre tâche consiste à dépuceronner (avec les doigts !) les plants de tomates et à leur appliquer ensuite des tuteurs. Il nous faut aussi dépuceronner les concombres et poivrons avant de « nourrir » les tomates. Nous désherbons (à la main bien sûr) également le champ d’épinards et de céleris avant de terminer l’après-midi par le nettoyage du box où les moutons ont passé ces deux derniers jours.

Le soir, c’est une toute autre activité qui nous attend : Janet nous a proposé de l’accompagner sur l’île d’Iona pour le traditionnel bal folk annuel. A 20h00, nous sommes donc sur le tout petit port de Fionnphort prêts à embarquer sur le tout petit ferry qui nous conduira sur l’île voisine. Nous attendons l’orchestre qui, de coutume, doit jouer sur le bateau durant la traversée mais qui, aujourd’hui à cause du mauvais temps, a du y renoncer.

Lorsque le ferry débarque sur Iona, les quelques habitants de l’île sont là pour nous accueillir. Soudain un jeune nous aborde en français : « j’vous ai reconnus à l’accent ahahah ! » ; il s’appelle Maël et arrivé ici en stop depuis Lyon. Les musiciens accordent leurs instruments et le cortège se met en branle vers la salle des fêtes. Nous suivons, curieux, puis nous prenons place à l’intérieur du bâtiment. La soirée commence par un petit discours plein d’humour dont nous ne comprenons rien (l’accent…) si ce n’est qu’il félicite une jeune fille de l’île qui a été acceptée à l’université de Glasgow – chose qui semble assez rare ici du fait du très petit nombre d’habitants. C’est ensuite à l’orchestre de faire face à la foule (environ deux cent personnes) qui rempli la petite salle – foule d’habitués où quelques touristes (une dizaine) sont facilement reconnaissables à cause de leur timidité et de la fascination lisible dans leurs regards. Les airs traditionnels écossais se succèdent ; les cornemuses s’en donnent à cœur joie, soutenues par deux tambours. Je reconnais à la grosse caisse la postière de la veille. Le devant de la scène est ensuite offert à qui veut partager ses compositions ou interprétations ; les morceaux se succèdent entre rire – comme ce petit vieux à guitare fredonnant un éloge aux midges, et émotion grâce aux chants à capella de deux jeunes aux voix profondes et justes.

Chacun ayant saisi sa chance de faire un triomphe devant un public dans une ambiance de fête, toutes les chaises sont alors rangées pour laisser place à la danse. Le nouvel orchestre démarre la mélodie, nous nous regardons – Clément et moi – le sourire un peu tendu lorsqu’une fille me prend par la main et m’embarque sur la piste. Je tente de lui baragouiner dans un anglais approximatif que je ne sais pas danser. Elle me répond que ça n’a aucune importance, que l’on est ici pour s’amuser et que la danse folk s’apprend vite. Alors que je me laisse guider par ses pas et que j’épie ses mouvements afin de les reproduire (de tenter de les reproduire devrais-je dire), nous parlons un peu, pas beaucoup ; ce soir les sourires en disent plus que les mots. Je guette Clément du coin de l’œil, il a lui aussi trouvé une partenaire – en l’occurrence Janet, cette sympathique wwoofeuse au long terme que nous découvrons réellement ce soir. Elle sera pour nous une véritable professeur de danse (ainsi que son amie Tina) et une agréable partenaire. Nous sommes surpris de son débordement de jeunesse alors que nous estimons son âge aux alentours des quarante ans. Les danses en couple s’alternent avec celles en groupe où nous nous fondons complètement dans l’ambiance qui émane de tous ces sourires. Les nôtres se sont détendus, nos gestes se font moins hésitants. Pour clore le bal, vers minuit, l’orchestre invite l’ensemble de la salle à une danse générale : plus de couple, plus de groupe, rien qu’une immense haie de mains tendues et serrées.

La musique n’en finit plus, nous tournons et tournons encore, ivres de musique. Lorsqu’enfin l’orchestre se tait, nous sommes exténués mais joyeux et remplis d’allégresse. Les cornemuses réinvestissent le premier rôle tandis que le cortège reprend sa marche en sens inverse en direction du port avant de monter dans le ferry.  Lorsque celui-ci démarre, les mains se lèvent et les sourires se reflètent dans la lumière des lampadaires. La traversée est courte mais pittoresque ; des vagues imposantes secouent le bateau en cette nuit agitée tandis qu’un joueur de cornemuse entêté continue de nous faire rêver – les notes font écho aux cris des passagers bousculés dans tous les sens. Fascinant.

            Le soleil se lève déjà sur notre dernière journée à la ferme. Rosie tient à nous la laisser libre pour pouvoir en profiter pleinement. Tranquillement nous préparons donc nos affaires, nos provisions.

L’après-midi, nous accueillons un couple de jeunes Nantais ; Adrien et Evanne. Ils en sont à leur troisième ferme wwoof après celle des Cornouailles (Angleterre) et celle au Pays de Galle. Nous blablatons pas mal, le courant passe bien.

Comme de coutume, la soirée est consacrée au repas d’arrivée d’Adrien et Evanne, repas qui fait également office de repas d’adieu pour Clément et moi. Autour de la table, nous sommes beaucoup plus à l’aise qu’il y a une semaine lors de notre arrivée ; notre anglais ne s’est pas en soi véritablement amélioré (pas assez de temps) mais le vocabulaire s’est élargi et l’aisance à l’oral s’est vue décuplée. Nous sommes désormais capables de soutenir des discussions, notamment d’Histoire ; celle de l’Ecosse, celle de Mull en particulier. A la fin du repas, Nigel rentre à la ferme (il était parti deux jours sur la « terre ferme » afin de faire des courses). Nous sortons profiter d’un dernier et magnifique coucher de soleil sur la butte avant de procéder au baptême de mon vélo. Clément avait déjà trouvé, avant le départ, un nom pour sa bicyclette : « Olmaria » (nom italien de la fleur que l’on appelle généralement la « Reine des prés »), nom choisi justement à cause du surnom de « petite reine » que l’on donne affectueusement à la bicyclette et parce que sa bicyclette a pour vocation de sillonner les routes qui serpentent entre les prés – c’est donc en quelque sorte une « reine des prés ». Par contre, je n’avais guère d’idées de mon côté ; il y eu « Odyssée » à cause de la lecture que j’en faisais sous la tente les soirs et à cause de la similitude (à peine exagérée) de la situation d’Ulysse et de la notre au début de notre périple (les festins en moins !) et puis il y eu cette semaine à la ferme, dans la baie de Kintra : lieu fantastique, éblouissant et surtout première destination à la quelle ma bicyclette me conduisait. C’est ainsi que l’on s’est tous réunis dans la cours où j’ai aspergé ma bicyclette avec l’eau de la source de Kintra en lui offrant ce même nom – « Ceann Traigh » en gaélique et que l’on a trinqué au whisky sous cette nuit froide au nom de Saint Christophe, saint patron des voyageurs.

La soirée n’en fut pas finie pour autant ; nous avions promis à notre arrivée – lorsque Suzanne avait récité ses petits poèmes en l’honneur de Rosie et Nigel, de faire nous aussi une chansonnette à notre départ… Et nous voilà chantant ces quelques couplets écrits dans l’après-midi sur le toit de la « round house » autour de trois quatre accords :

 

Caledonia

 

We are two vagabonds

Travelling through the country

We aren’t as strong as James Bond

But we think we are free

 

Up and down in the morning

Up and down in the evening

It’s a little bit boring

But it’s really interesting

 

We met a lot of people

Who smiled when they saw us

The weather is so incredible

That nobody wants to join us

 

Refrain

Mais nous avançons, nous sourions

Sur les routes de l’Ecosse comm’ des gosses

Un rayon de soleil et c’est reparti

Pour 100 kilomètres de bitume et… de pluie

 

And after eight days of pain

We knocked at the gate of heaven

A little farm under the rain

But with sun in the garden

 

The hosts Rosie and Nigel

Welcomed us inside their croft

For us they looked like angels

Who rescue two dirty frogs

 

Refrain

 

With Eliott and Mike the Canadian

We became the greatest cutters

Brackens will be no more a problem

Fork and rate are the winners

 

And Janet the “so young woman”

Who taught us how to dance

What a night for these two men

Who have met Lady the Chance

 

Refrain

 

Tomorrow we’ll leave paradise

To ride again our bikes

On the road to be wise

And grown up, so goodbye…

 

Nous n’avions quasiment pas répété, nous sommes donc tendus mais Rosie, Nigel et Janet semblent conquis – leurs sourires nous encouragent. Comme pour nous remercier, ils entonnent à notre suite deux chants gaéliques à capella. Le silence est de mise, l’émotion est palpable. Lorsque nous rentrons nous coucher, nous avons les yeux remplis d’étoiles mais nous savons que demain il faudra repartir – nous sommes prêts.

            Il est 9h00, nous embrassons Rosie, nous embrassons Nigel, nous serrons les mains, celle de Mike, celle d’Eliott, celles d’Adrien et Evanne. Malheureusement Janet est absente – déjà partie à son boulot dans une petite boutique, travail qu’elle partage avec celui à la ferme. La météo n’est pas terrible, le départ n’en est que plus dur. Nous enfourchons nos bicyclettes et partons lentement sur le petit chemin de terre qui nous reconduit sur la route. En haut, nous jetons un dernier coup d’œil sur la baie de Kintra – une page de notre voyage se tourne.

Les sensations reviennent vite, les sourires réapparaissent ; nous roulons vite. De plus, nous avons de quoi être optimistes ; nous avons désormais dans nos sacoches deux pains faits la vieille, un pain d’épices et une tablette de chocolat donnés par Rosie et une seconde tablette offerte par Janet (nous lui avions parlé au moment du bal du réconfort que peut offrir un carré de chocolat (que nous n’avions pas d’ailleurs) sous la tente lors des soirées pluvieuse – je crois qu’elle nous a compris…)

Les trente premiers kilomètres se font sur un rythme endiablé ; nous sommes frais physiquement et mentalement et le temps semble s’éclaircir, le vent est dans notre dos. Nous profitons de la route qui nous avait parue si longue à l’aller pour chanter à tue tête. Et puis soudain nous bifurquons complètement à gauche pour prendre l’autre route qui traverse l’île (il n’y en a que deux), histoire de la découvrir en entier. Ce changement de direction nous fait repartir sous la pluie et contre le vent. Nous apercevons sur le bord de la route un panneau indiquant « scenic road » - Clément fait alors involontairement un jeu de mot qui nous rend hilares : « Alors comme ça cette route est une cynic road » sur un ton dépité tout en se retournant pour apercevoir le soleil que nous fuyons. Finalement un nouveau changement de direction nous fera retrouver un temps calme.

La route est magnifique – et déserte ! ce qui est bien agréable en vélo.

Et puis soudain, dans le courant de l’après-midi, nous apercevons en bas, près de la côte, la principale ville de l’île : Tobermory (1000 habitants). Une grande descente nous y mène ; ivres de grand air, nous déboulons à plus de 70 kilomètres/heures dans la petite rue centrale limitée à 20 miles (environ 32 km/h) en gueulant des « wahahou » à tour de bras. La scène surprend tout le monde, les gens se retournent d’un coup et nous suivent des yeux jusqu’à ce que nous posions pied à terre au niveau du port. Nous sommes plutôt fiers de notre arrivée remarquée et il faut le dire remarquable.

Nous embarquons ensuite sur le ferry qui nous reconduit lentement sur le « continent » au niveau d’un tout petit débarcadère à Kilchoan. Nous décidons, avant l’arrivée de la nuit, de tester notre petit stratagème élaboré pendant notre séjour à la ferme, à savoir accrocher à l’arrière du vélo le carton où nous avions écrits en grosses lettres : « Please welcome us » dans l’espoir que peut être un automobiliste aimable nous invite en sa demeure. Le problème est que le résultat n’est pas vraiment celui escompté ; le peu de gens qui nous doublent nous saluent plus que d’habitude mais ça s’arrête là. Déçus, nous cherchons un endroit où planter la tente ; après un refus de campement dans un pré parqué privé pour cause de cerfs et de chevreuils en résidence, nous optons pour un talus en dessous de la petite route qui grimpe vers l’intérieur des terres – la vue sur la mer est admirable. Lorsque je plante notre petit drapeau français à côté de la tente, un rayon de soleil vient combler la soirée.



18/10/2010
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