Kilchoan - Inverness du 19 au 21 jullet - 276km (Total:1119km)
Lorsque je me réveille le lendemain, ma principale crainte, mon talon d’Achille me saisit sans ménagement : la migraine – résultat d’une très mauvaise nuit peut-être due à la rupture avec la vie à la ferme. Le martèlement de la pluie sur la tente abaisse un peu plus mon moral : oulala que la journée va être longue. Pourtant à 8h30 nous enfourchons comme chaque jour nos montures. La route est sinueuse et étroite ; le mauvais temps et notre solitude la rend impressionnante, presque inquiétante. Une bonne côte nous permet de franchir une sorte de col qui domine la mer-loch (sans jeu de mots) Sunart. Nous entamons la descente qui nous mène sur la côte et poursuivons sur la petite route qui la longe – route éreintante car en constante « montée, descente, montée, descente » plutôt raides. Avant midi un petit col m’achève et c’est avec « l’armée rouge qui défile dans ma tête » que je m’assois sur la table de pique nique. Nous n’avons presque rien à grignoter, ce qui n’arrange guère les choses. Le vent redouble, mon vélo tombe ; je me lâche et l’insulte de tous les noms. Ca calme. Nous poursuivons, inlassablement, face à ce foutu vent et cette foutue pluie. Puis soudain, alors que nous redescendons à vive allure vers la côte atlantique, le temps s’éclairci et nous apercevons sur le bord de la route deux cyclo-randonneurs qui retirent leurs ponchos (signe encourageant !). Nous leurs crions de grands « Wahahou ! » en guise de salutations.
La route s’élargi à proximité de Mallaig ; le port où nous avons l’intention d’embarquer pour l’île de Skye. A notre arrivée sur l’embarcadère, un groupe de vieux touristes des quartiers bourgeois de Glasgow traverse devant nous sans regarder, nous « sonnettons » ; ils n’apprécient pas vraiment : une des vieilles, furieuse, vient nous engueuler dans un anglais absolument incompréhensible (l’accent de Glasgow déjà en parlant c’est pas un cadeau mais en gueulant je vous explique pas…) C’est l’occasion rêver pour moi de faire jaillir toutes les difficultés emmagasinées depuis le matin : je lui donne la réplique dans un vocabulaire certes moins imagé mais tout aussi virulent (enfin on fait avec ce qu’on a). Clément m’incite finalement à faire comme-ci de rien n’était puis nous embarquons.
Alors que le ferry est en passe de démarrer, nous croisons deux jeunes cyclos sur le pont, nous les saluons du « Hi » habituel avant de se rendre compte, lorsque l’un deux s’écrie : « Eh Simon attends ! », qu’ils sont français. Nous les accostons ; ils se prénomment Simon et Ludwig et sont originaires du Sud-ouest. Comme nous, ils bourlinguent dans le pays. Nous nous rendons compte que c’est eux que nous avions doublé auparavant lorsqu’ils hottaient leurs ponchos.
Débarqués sur Skye, nous décidons de poursuivre ensemble afin de faire un campement commun ce soir. Nous cherchons mais peu d’endroits semblent propices jusqu’à ce que nous trouvions une école primaire avec parc à Kilmore. C’est les vacances, il n’y a donc personne. Bizarrement quelques voitures sont tout de même stationnées par derrière. Clément et Simon partent à la pêche aux renseignements ; un des bâtiments est utilisé comme centre médical, nous ne pouvons donc pas camper dans cette enceinte. Ce serait vraiment dommage pensons-nous, d’autant plus que la vue sur la mer et le continent est somptueuse ; nous patientons une heure et une fois les voitures parties nous déplions les tentes et sortons les réchauds le sourire aux lèvres. Pour fêter notre rencontre nous nous offrons un véritable festin en mettant nos provisions en commun: soupe, fromage, jambon et pâtes chinoises (que nous découvrons !) – parfait !
Au réveil, le soleil est toujours présent. Nous n’avons plus rien pour le petit déjeuner excepté quelques cookies que partagent Ludwig et Simon : un chacun ! De quoi donner la patate pour toute la journée (enfin pas sûr mais ça vaut bien deux ou trois tranches de pain de mie en terme de réconfort). Nous roulons fort pendant vingt ou trente kilomètres ; l’aspiration aidant (à quatre c’est vraiment plus efficace) puis nous nous séparons après une petite photo-souvenir non loin de Kyle of Lochalsh ; Simon et Ludwig partent sur la gauche vers l’intérieur de l’île tandis que Clément et moi prenons à droite pour rejoindre le « continent ». Nous nous souhaitons bon vent, heureux de cette sympathique rencontre.
12h30 : la pluie se pointe, l’obscurité trébuche et tombe brusquement à plat ventre pour bien s’étaler sur notre route. Nous faisons une petite pause pour admirer le plus célèbre château d’Ecosse ; l’Eilean Donan, jouxtant le Loch Duich, où nous blablatons quelques minutes avec un couple de Français.
Nous nous faufilons ensuite dans une belle et impressionnante vallée qui s’élève progressivement avant de nous offrir une très agréable descente. Durant la montée, nous avons trinqué (avec nos gourdes d’eau…) à notre millième kilomètre parcouru – sous la pluie évidemment ; ça ne saurait mentir.
Nous trouvons ensuite un coin sympathique pour camper à l’abri derrière un barrage – en espérant qu’il n’y aura pas de fuite pendant la nuit. Nous profitons d’une accalmie pour nous laver dans la rivière, ce qui est bien agréable dans un endroit pareil (et au moins on peut se savonner nu, debout sur un caillou, sans craindre de choquer quelques touristes en passage) même si l’eau est glaciale.
La soirée est le théâtre de notre première dispute – il fallait bien que ça arrive ; vivre 24h/24h à moins de deux ou trois mètres l’un de l’autre n’est pas chose aisée même pour de très bons amis. Chose étrange, le sujet à dispute est assez futile : nous ne nous disputons pas pour une histoire d’itinéraire ou de partage de nourriture ou encore de répartition de poids mais pour une histoire de sms ; agacé par le pianotement de Clément sur son portable (qui ne l’a pourtant quasiment jamais utilisé), je lui fait part de ma désapprobation, il me répond sur un ton froid, je m’énerve et sort de la tente pour limiter la casse et calmer mes nerfs à l’air qui, il faut le dire, commence quand même à souffrir de la fatigue et du mauvais temps. Heureusement nous savons mettre nos égos de côtés et un quart d’heure plus tard tout est reparti. Toutefois nous avons fait la connaissance d’une difficulté qu’il ne faut pas sous estimer lors d’un voyage : la capacité à s’adapter à une vie « en couple » durant un temps plus ou moins long.
Devinez quel doux chant vient imperceptiblement de me réveiller ce matin : oui oui la pluie bien sûr. Pour changer. Sauf qu’aujourd’hui ce n’est pas un peu de pluie, ni même une pluie parsemée d’accalmies mais bel et bien un déversoir continu qui va s’abattre sur nos têtes casquées. Ras le bol des douches écossaises ! Pourtant il faut bien aller de l’avant alors nous avançons, une grimace figée sur notre visage mais le regard fixe et rempli de volonté et d’abnégation.
Nous avalons soixante-dix kilomètres d’une traite afin d’atteindre Inverness pour midi. Nous longeons notamment le si célèbre Loch Ness et ses trente-neuf kilomètres de rives (sur un ou deux de large seulement !), impressionnant de noirceur due à sa profondeur qui atteint 250 mètres par endroit (température moyenne de 5 ou 6°C !). Nous ne nous attardons pas ; lieu de tourisme mercantile le Loch Ness rompt brutalement avec l’ambiance générale du pays et ce nouvel aspect nous repousse.
Inverness, porte du Nord et « embouchure de la Ness » (Inbhir Nis en gaélique), ville à l’Histoire conflictuelle, ville aujourd’hui grise, trop grise pour nous – pantins déambulant dans ses rues détrempées. Inverness ; lieu de notre première (et seule ?) désillusion générale : imaginez deux jeunes randonneurs, assis sur les marches d’un immeuble du centre, observant les passants avec un regard si dépité qu’on peut parfois lire de la pitié dans les yeux de la foule qui défile devant nous, tout en mastiquant un vieux bout de cheddar coincé entre deux tranches de pain de mie. La pluie tombe drue, le vent souffle froid ; nous sommes gelés, il doit faire cinq degrés. Je grelote et commence à claquer des dents, mécaniquement. Dans ces moments, l’envie de pleurer vous prend et pourtant les larmes ne coulent pas – il faut réfléchir, ne pas désespérer. Pour la première fois, nous nous posons la question : « maintenant que faire ? ». Poursuivre, c’est toujours mieux que de se laisser gagner par le découragement devant le parvis d’un immeuble grisâtre. Soit nous allons ; nous sortons de la ville et franchissons l’énorme pont qui enjambe le Beauty et le Moray Firth. Nous décidons que cette fois-ci, il est primordial de trouver un hôte qui accepte de nous héberger. Quelques kilomètres plus loin, nous apercevons dans un pré deux jeunes avec un tracteur. Nous hésitons à les aborder. Heureusement Clément se décide. Du bord de la route, je le vois qui parle parle parle : mais que peut-il raconter de si long avec cet anglais bancal ?! Lorsqu’il me rejoint, je perçois un petit sourire au coin de ses lèvres. Ce sont en fait deux Français qui bossent pour une ferme wwoof située non loin. Eh bien ça alors ! Ils s’appellent Alexis et Cécile et nous invitent à demander l’hospitalité au fermier – ce que nous faisons. Niel reflète parfaitement l’image que l’on peut se faire du paysan écossais « typique » : solide, les cheveux tirant sur le roux, peu bavard mais intéressé, froid au premier abord mais sympathique. Il accepte que nous plantions la tente sous son garage à tracteurs ; il y a de la paille sur le sol. Sous l’impulsion des deux wwoofers, nous sommes invités à boire un thé à l’intérieur. Quel bonheur. Nous buvons tranquillement ; Cécile est là pour quelques mois dans le cadre de ses études, Alexis – qui nous impressionne grandement – est un berger ardéchois itinérant de 2 ans. L’humilité et la générosité réunies sous des traits de berger biblique venu d’un temps immémorial, de baroudeur antique. Il nous parle presque timidement de son travail de berger, de son voyage en Amérique du sud en vélo avec un ami, de sa traverser de l’Atlantique en voilier pour en revenir et du voyage qui l’a mené ici : embarqué au Havre sur un voilier en direction du Cap Nord, il débarqua aux Shetlands à cause d’une mésentente avec le capitaine et le voilà qui redescend vers la France en travaillant de ferme en ferme.
En bande sonore sur le film de notre discussion, Mona Bone Jakon de Cat Stevens en vinyle puis la vieille cassette audio (pas de lecteur cd) de Graceland de Paul Simon – quelques chansons qui font un bien fou.
Survient ensuite la fille de Niel, dynamique et souriante. Lorsqu’elle prend connaissance de notre cas, elle nous invite à manger à leur table et nous propose de passer la nuit dans la cabane de jardin- c’est petit mais au moins nous sommes à l’abri et il y a même deux lits. Nous ne nous faisons pas prier. La soirée est appréciable ; nous discutons de géographie avec Niel ; il nous montre son « armoire à cartes » - toute une armoire remplie de cartes topographiques : waouh !
Nous allons nous coucher, rompus de fatigue en cette fin de journée qui nous a vus passer de la tristesse à la joie en quelques heures. Comme quoi, il ne faut jamais désespérer…
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