Le tour d\'Écosse à vélo

Le tour d\'Écosse à vélo

Strathyre – Fionnphort (Isle of Mull) Du 07 au 11 juillet – 333km (Total: 753km)

Georges nous rejoint au centre du village ; il n’habite guère loin. Sa première question « Do you want a beer ? » nous fait sourire mais nous sommes encore tendus : vas-t-il nous offrir un lit pour la nuit ? Nous découvrons alors sa maison – impressionnante à nos yeux de chiens mouillés et drôlement réconfortante, tout comme l’affairement de sa femme : douche, machine à laver, lit, repas, tout est prêt pour soigner nos corps et nos esprits éreintés par ces premiers jours difficiles. Ils sont nos premiers hôtes, nous sommes leurs premiers invités, le courant passe bien ; nous parlons de voyage bien sûr mais aussi d’études, de la France, etc. Georges possède à son actif une jolie panoplie de voyages à vélo, notamment en France – il a traversé le pays de Calais à Nice en treize jours. Notre anglais est encore hésitant tandis que nous nous empiffrons d’un succulent repas indien (pour les spécialités écossaises il faudra attendre). Nancy, sa femme est impressionnée par notre jeune âge. Nous nous couchons à vingt-trois heures, après un merveilleux café – le premier du voyage. Nous ne sommes plus habitués à ce rythme car nous avons coutumes de fermer les yeux aux alentours de vingt et une heure en tente. Ce lit blanc et ces draps propres nous effraient quelque peu ; Clément préfère dormir dans son sac de couchage – histoire d’être à l’aise.

 

Le levé se fait également un peu plus tard que d’accoutumée, nous prenons un gros petit déjeuner avec pour la première fois quelque chose à boire et décidons de repartir vers onze heure – Georges propose de nous accompagner pour nous montrer le chemin durant la première heure. C’est sur une petite piste cyclable en terre que commence donc la journée : le ciel s’est découvert, Georges nous filme, nous prenons quelques photos de cet endroit encaissé qui s’avère remarquable sous le soleil. Nous nous quittons en haut d’un col, l’émotion est palpable ; notre première sérieuse rencontre fut si agréable.

La journée est courte du fait de notre départ tardif, nous passons au pied du Ben More (1174m), point culminant de la région, puis grimpons un petit col qui malgré sa faible pente fait souffrir énormément mes genoux. La pluie et le vent qui nous accueillent en haut ne nous aident pas à conserver l’optimisme emmagasiner chez Georges et Nancy – dommage car l’endroit est vraiment splendide. Arrivés au lieu dit de Bridge of Orchy, nous prenons une petite route à la recherche d’un endroit où camper mais le temps s’empire ; nous nous réfugions dans une auberge et nous permettons un chocolat chaud. Comme nous, deux groupes de randonneurs attendent patiemment (et tristement) une éclaircie pour planter la tente. Ils sont nombreux dans les parages, l’auberge se trouve sur le West Highlands Way ; célèbre sentier de grande randonnée et c’est avec eux que nous campons au bord d’une rivière dans un endroit magnifiquement vaste et sauvage mais malheureusement très humide, ce qui complique l’installation de la tente.

 

Le réveil est difficile ; on entend le martèlement des gouttes sur la toile – encore. Nous démontons la tente en un temps record, aux cotés d’un jeune randonneur parisien, pour éviter de mouiller la toile intérieure et enfourchons nos bicyclettes sur une route qui n’est pas représentée sur notre carte. Elle se rétréci petit à petit avant d’arriver au devant d’une grosse baraque et laisser place à un chemin de terre très accidenté qui contourne le loch Tulla. Retourner sur nos pas n’étant pas dans notre mentalité, nous attaquons ce chemin – avec prudence toutefois. Tout se passe bien, nous sommes rassurés sur notre matériel.

Nous entamons une sorte de col qui nous conduit dans une très large vallée aussi vaste que sauvage, aussi sauvage qu’humide. Se profile alors sur le bord de la route le panneau que nous attendions tant : Welcome to the Highlands. La vallée continue de s’élever tranquillement au fil des kilomètres, au loin se profile une barrière rocheuse dans laquelle semble se faufiler notre route ; la passe dite de Glen Coe. Le temps est plus que menaçant : un épais voile gris bouche l’horizon. Impressionnant. Arrivée dans cette vallée étroite, au plafond bas et aux parois rapprochées, la route entame sa descente en serpentant autour d’une rivière. Une pancarte indique une station  de ski sur notre gauche. Tiens tiens… Le vent est tel que la descente s’avère aussi difficile que le montée ; 15 kilomètres/heure tout au plus ; démoralisant ! Ce côté de la vallée se fait tout de même moins menaçant, la pluie nous octroie quelques minutes d’accalmie afin de profiter de ce splendide endroit. Alors que nous décidons de nous arrêter sur un parking pour prendre une photo, un bus sa gare à nos côtés ; une quarantaine de touristes en descend, s’émerveille, photographie l’ensemble et remonte. Pffff quelle bande de moutons pensons-nous. Nous, au moins, avons l’impression d’avoir mérité la beauté de l’endroit. Nous continuons à descendre, une petite maison blanche se dresse au bord de la rivière, que fait-elle ici perdue dans cette vallée dantesque ? Est-elle habitée par un vieux berger endurci ou par un couple de retraités de Londres en mal de verdure ? Autant de questions qui n’auront de réponse que par notre imagination. Puis se dresse devant nous le village du même nom de Glencoe, le premier depuis pas mal de kilomètres.

Nous jetons un coup d’œil sur la carte ; nous avons parcouru quarante kilomètres ce matin, il en reste trente pour atteindre Fort William, une étape de soixante-dix kilomètres serait une étape trop courte, nous décidons de rallonger en contournant le Loch Leven. Ce détour s’avère sympathique, la route est agréable et le village de Kinlochleven situé à l’extrémité du Loch est intéressant car composé entièrement de randonneurs de passage dans ce cul-de-sac au pied de deux sommets.

En reprenant la direction de Fort William, les premiers panneaux indiquant à la fois le nom du lieu en anglais et en gaélique se font apercevoir ; nous pénétrons au cœur de l’Ecosse.

Fort William ; la ville n’est pas spécialement jolie mais l’ambiance me fait grandement penser à Evian-les-Bains ; une petite ville au bord d’un     vaste loch et au pied d’imposants sommets où se croisent toutes sortes de randonneurs, vététistes et autres touristes. Nous cherchons un camping, nous en trouvons un. Un rayon de soleil nous aide à planter la tente entre celles des différents baroudeurs qui, campement établi, ont déjà tous le regard tourné vers le Ben Nevis – point culminant de la Grande-Bretagne : 1344m ; une altitude qui peut paraître faible mais qui prend un certain sens lorsque l’on sait que Fort William se situe à 120m au dessus du niveau de la mer. Pour nous aussi l’ascension du Ben Nevis est l’objectif du lendemain. Nous voulons profiter de ce rayon de soleil inespéré pour manger pour la première fois dehors quant un premier moustique me pique, puis un deuxième, c’est enfin toute une colonie de midges qui vient s’inviter à notre table. Ah le célèbre midge ! Satané petit moustique des hautes latitudes, traître ennemi du campeur car très difficile à assassiner d’un coup de fourchette dans le dos du fait de sa petite taille et sa rapidité de déplacement. Vaincus, nous retournons dans la tente. Enfin, rien ne viendra gâcher notre fantastique souper, ce soir composé de riz ET de petits pois carottes. Un festin !

 

La pluie, notre réveil matin quasi-quotidien se fait une fois de plus entendre. Nous avions demandé la météo la veille à l’office de tourisme, était-ce l’accent ? en tout cas nous avions compris quelque chose comme « le temps sera meilleur ». Désespérant. Aujourd’hui nous laissons nos vélos au camping pour retrouver le plaisir de la randonnée à pieds. Sensation étrange ; nos cuisses musclées et tendues nous gêneraient presque. Nous entamons les premiers hectomètres sous une pluie encore fine. Nous n’avons qu’un tout petit sac à dos, nous sommes donc léger comme jamais pour une ascension. Pourtant nous aurions dû savoir que le Ben Nevis est cerné par les nuages 355 jours par an, que cette barrière de nuages stagne à 700 mètres d’altitude et que le vent est au moins de force 8 (sur 12 sur l’échelle de Beaufort) 260 jours par an. Nous allons en faire les frais. Les randonneurs que nous doublons nous regardent un peu surpris ; nous sommes en shorts, k-ways et baskets alors que certains d’entre eux sont quasiment équipés comme des alpinistes. Le temps se corse sévèrement à mi-parcours avant de devenir carrément infernal : pluie battante, vent glacial, température en chute libre. Nous essayons de ne pas trop réfléchir et grimpons à une allure soutenue. Nous ne parlons pas, chacun étant concentré mentalement. Quelques plaques de neiges au bord du sentier et nous arrivons au sommet après trois heures d’ascension et 1200 mètres de dénivelé positif, ou plutôt ce que nous devinons être le sommet ; une table d’orientation, une cabane en pierre et tout autour une chape grisâtre d’une épaisseur saisissante. Je me questionne sur l’intérêt de la table d’orientation. Il paraît que c’est drôlement chouette par beau temps, il paraît… Nous avions prévu de pique-niquer en haut, nous ne parvenons même pas à prendre une photo. Frigorifiés et pressés d’être de retour au camping, nous décidons de redescendre en courant. La descente est assez périlleuse car très cailloutée et glissante. Mes pieds souffrent à cause de mes semelles beaucoup trop fines.

En bas le temps n’est guère meilleur, nous nous mettons d’accord pour passer une seconde nuit au camping – histoire de prendre une douche et de sécher nos habits.

Lorsque nous pénétrons dans les douches, nous croisons une bande de jeunes randonneurs belges que nous avions déjà aperçus la veille. Nous nous retrouvons à leurs côtés devant les lessiveuses. On s’interpelle. Eux aussi ont gravi le Ben Nevis ; ils sont partis juste avant nous, sont revenus juste avant nous et pourtant nous ne nous sommes pas croisés… ou pas vus ! Nous blablatons de politique, d’étude, de sports puis nous restons silencieux, alignés côte à côte devant les sèche-linges, pensant au fil des tours du tambour au bien être des vacances sur une plage ensoleillée… En sortant, nous tombons nez à nez avec le randonneur parisien rencontré la veille au campement. Nous prenons quelques nouvelles et nous souhaitons bonne chance pour la suite. Lui, ainsi que les cinq belges en avait fini avec le West Highlands Way, nous, en avions encore pour vingt-six jours. Wahahou !

 

Nous renfourchons nos bicyclettes pour une journée importante psychologiquement ; nous devrions être sur l’île de Mull ce soir. D’abord c’est un bon petit détour de trente kilomètres qui nous attend pour contourner les lochs Eil et Lihnne afin d’éviter de prendre le petit ferry qui traverse le loch Lihnne en son point le plus étroit. C’est toujours quelques livres d’économisées. C’est joli, ça nous console. Nous prenons alors une route sympathique qui longe ce loch relié à la mer – route que nous allons bientôt baptiser la « camping-car road ». Devinez pourquoi. C’est un paradis pour ces engins là, c’est vrai. Pour les cyclistes également. Puis nous nous enfonçons dans les terres ; ça grimpe, c’est sauvage ; il n’y a pas âme qui vive – saisissant ! Les moutons se font de plus en plus nombreux aux bords et au centre de la route. Certains sont stoïques devant notre allure originale, par contre d’autres courent en long et en large de la route effrayés par nos airs d’ours affamés. Nous ne traversons aucun village de toute la journée, sauf en fin d’après-midi ; Lochaline, où nous décidons de prendre le ferry pour rejoindre Mull.

La traversée est sympathique ; des motards prennent leurs montures en photos, fiers de leurs pots d’échappement chromés et de leurs gentes étoilées. Arrivés sur Mull, la pluie qui nous avais jusque là épargnés nous rattrape et nous contraint à trouver au plus vite un endroit pour camper. Nous dénichons un petit coin de verdure aux abords du rivage et nous séquestrons volontairement à l’intérieur de la tente car le temps devient complètement dingue – la nuit s’annonce difficile.

 

Elle le fut ; malgré les boules-quiès, la pluie et le vent m’empêche de trouver le sommeil. Au milieu de la nuit, la toile de sol trempée me fait quelque peu paniquer mais la tente tient bon et rien ne fuit – cette nuit n’en fut pas moins cauchemardesque.

Le matin, le moral n’est guère plus optimiste ; il pleut toujours. Au moins sommes nous sur l’île, ne reste plus qu’à la traverser. Ne reste plus… En effet ça aurait pu être simple mais il faut se méfier du conditionnel. Les premiers kilomètres se font pourtant sur un bon rythme ; la route est large, le temps se stabilise à la simple pluie. Mais ceci ne dure que jusqu’à Craignure – port du principal ferry reliant Mull au « continent ». La suite se corse tranquillement.

D’abord la route qui se rétréci et s’élève, puis le temps qui s’obscurcit, le vent qui se lève et la pluie qui tombe de plus belle. La passe de Glen Coe est un enfer. D’ailleurs c’est un véritable no man’s land. Pas étonnant. De plus le froid s’invite à la fête ; nos doigts sont gelés, nous n’arrivons plus à changer les vitesses. Je grelote. Le vent maintient notre moyenne aux alentours de dix kilomètres/heure avec des pointes à huit kilomètres/heure en moulinette dans certaines descentes. Ah Ah Ah. Nous sommes à ce moment les deux dans un état second (ou peut être même plus), laissant nos corps gérer l’effort du pédalage après avoir mis le cerveau sur la position « off ». Nos regards hagards fixent la petite route qui chemine entre les collines vertes, les ruisseaux et les moutons – seule compagnie pendant près de trente kilomètres. Parfois un bus touristique nous double, remplis de vieilles anglaises, ferventes croyantes, se rendant sur l’île d’Iona – berceau de l’évangélisation écossaise au VIe siècle, afin d’effectuer un pèlerinage à la sueur de leur… de la clim de l’autocar. Elles nous regardent avec des sourires ; on peut y déceler parfois un brin de pitié – quand même.

Une fois l’extrémité ouest de l’île atteinte, la vue s’ouvre sur l’océan Atlantique par le loch Scridain. Nous sommes complètement cuits, cherchant un endroit où s’abriter pour manger. Nous trouvons un bosquet en bord de route. Aujourd’hui c’est repas original : sandwich pain-pain : une tranche de pain de mie dans deux tranches de pain de mie. Hum délicieux ! Nous continuons. La pluie s’arrête. Nous grignotons une seconde fois. Je ne me souviens plus trop des derniers kilomètres, juste que nous avons pédalé mécaniquement en maugréant contre ce foutu bras de terre qui n’en finit pas. Je revois les bus en sens inverse, nous klaxonnant avec ces vieilles qui nous saluent ; heureuses d’avoir accompli leur devoir. Je revois la ferme soudain, perdue au fond d’un petit chemin, je revois ce magnifique rayon de soleil qui nous accueille avec un clin d’œil pour nous féliciter de notre abnégation, je revois cette vue splendide sur l’océan qui pour la première fois se pare de bleu (et non de gris !). Je revois surtout le sourire de Rosie nous ouvrant la porte de son « croft » à Kintra (Fionnphort).



16/09/2010
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